Entretien avec Anthony Le Brun, réalisateur du film “Le fantôme d’Armen”

Le Fantôme d’Armen est constitué exclusivement d’images de la Cinémathèque de Bretagne. Comment et pourquoi tombe-t-on dans la marmite de nos collections ? Rencontre avec son réalisateur Anthony Le Brun, qui nous explique son cheminement.
Comment as-tu découvert les archives de la Cinémathèque de Bretagne ?
C’était vers 2012, pendant un cours d’option en L2 Art du Spectacle à Rennes 2 animé par Jean-François Delsaut, le responsable de l’antenne de Haute-Bretagne d’alors. Il nous a présenté les archives et leurs différentes utilisations au cinéma : narrative, documentaire, expérimentale… Il nous a également présenté le cinéma amateur de l’époque (les cinéclubs notamment, ancêtre de nos kinos modernes).
À la fin du semestre, nous avons eu un exercice de montage autour d’une sélection d’archives de cours d’école. J’avais fait une sorte de clip, Jean-François avait particulièrement aimé le film et m’avait demandé s’il pouvait le diffuser (je ne sais plus dans quel cadre, mais en tout cas le montrer). À l’époque, j’aiguisais tout juste mon intérêt pour le montage et c’est là, en travaillant directement la matière, que j’ai découvert le formidable potentiel de ces images.
As-tu un penchant particulier pour le cinéma amateur ?
J’aime le cinéma amateur car c’est avant tout des films de passionnés. Je ne dis pas que les films professionnels ne sont pas faits par des passionnés, mais chez l’amateur il y a un aspect non lucratif, c’est issu plus d’un désir que d’une commande. Il y a quelque chose de touchant, surtout pour le film amateur des débuts. À l’époque, le matériel pour filmer était beaucoup moins accessible qu’aujourd’hui, et beaucoup plus cher ! Les enjeux étaient beaucoup plus grands et il fallait avoir beaucoup plus de savoirs et de techniques pour manipuler le matériel. Pour faire des économies de pellicule, il fallait réfléchir à ce qu’on allait filmer, pourquoi, sous quel angle, faire attention à la lumière… Ce n’était pas à la portée de tout le monde.
Comment est venue l’idée du film Le Fantôme d’Armen ?
Pendant mon master 2, j’ai eu l’envie de réaliser un film, mais je n’avais pas envie de tourner, je ne me sentais pas prêt pour ça. Je voulais créer un film de montage, seul avec mes images, mes sons et mes idées. C’est alors que j’ai repensé aux archives de la Cinémathèque de Bretagne, à toute cette matière précieuse que j’avais découverte quelques années auparavant.
J’ai alors contacté Jean-François Delsaut, et après lui avoir donné une note d’intention contenant plusieurs idées encore vagues de ce que je voulais faire, j’ai eu accès à toutes les archives en ligne. J’ai alors commencé à bricoler, faire des tests, fictionner les images documentaires et détourner les images de fictions et en les mêlant entre elles sans me soucier de l’époque ou de leur provenance. J’avais créé mon petit laboratoire.
Il me fallait un fil conducteur et rapidement j’ai pensé à une histoire de famille que l’on m’avait racontée, une histoire de naufrage. J’ai repensé à cette photocopie d’un rapport de naufrage écrit de la main de mon grand-père sur le carnet de bord d’Armen, montrée par mon oncle/parrain. J’avais le centre de mon histoire.
Pendant 4 ans environ, j’ai monté un premier film intitulé Bleu, déjà basé sur le fameux naufrage et qui évoque de façon poétique la relation d’amour/haine de l’homme et la mer. C’est avec ce premier film, accompagné d’un dossier sommaire, que j’ai commencé à démarcher des productions avec l’aide de Jean-François qui m’avait soutenu tout ce temps.
C’est sur ses conseils que j’ai contacté le G.R.E.C. (Groupe de recherches et d’essais cinématographiques). Ils n’ont pas retenu mon projet, mais m’ont encouragé à participer à une résidence qu’ils organisaient à Paris en 2019 et qui fût décisive pour moi et pour le film. J’avais déjà en tête l’idée de faire de mon grand-père le personnage principal du film, mais je ne trouvais pas comment raconter une histoire plus scénarisée et moins évasive que Bleu avec les archives. J’avais quand même pris tous les documents que j’avais sur mon grand-père et à propos de cette histoire. Et à la sortie de cette résidence, j’avais toutes les bases de ce qui allait devenir Le Fantôme d’Armen. Ce grand-père que je n’ai jamais connu est devenu le gardien, un personnage qui contient aussi un peu de moi et un peu de mon père, décédé en 2015 et à qui le film est dédié. C’est l’histoire des coups durs de la vie, des fantômes qui nous hantent, parfois chassés par la lumière de la lanterne du phare qui nous guide.
Est-ce que tu as réussi à trouver une production facilement ?
Non, ça a été compliqué. Probablement à cause de la forme du film, il a été difficile pour les producteur·ices rencontré·es de se figurer le projet. Dans le premier dossier, le scénario n’était qu’un long texte qui devait être la voix off, accompagné d’un premier montage que j’avais fait lors de la résidence et d’explications sur mes expériences de montage d’archives (recherches, tests…). Ça n’a pas suffi, je pense qu’iels voyaient du potentiel, mais beaucoup trop de travail.
Sur les conseils d’un producteur, j’ai transformé mon scénario en tableau mettant en lien les morceaux de texte et les images. Le gros souci c’était qu’il fallait que j’annonce ce qu’on allait voir à l’écran alors que justement, toute la construction du film, et ce pour quoi je cherchais des soutiens, était cette recherche d’images ! Un paradoxe, propre aux films de montage, qui m’a poussé à faire preuve d’imagination. Un travail qui m’a aussi permis de mieux orienter mes recherches par la suite.
Sylvain Bresson (Le petit remorqueur) s’est ensuite montré très vite intéressé, sans trop se poser de questions, il a été convaincu par mon petit montage de cinq minutes et visiblement la masse de travail ne lui a pas fait peur !
Combien de films as-tu visionnés pour choisir ta matière ?
Plusieurs centaines ! Je me suis surtout concentré sur des unités de lieux (Ile de Sein, Finistère sud…) et sur des mots clés (tempête, bar…). Je regardais ensuite chacun de ces films, et je pouvais tomber sur des merveilles inattendues à l’intérieur, comme cet œil qui ouvre le film. Je me suis pas mal attardé sur les films de fiction, qui contenaient des éléments de mise en scène comme des gros plans sur le visage ou les mains et aussi sur des films plus expérimentaux qui contenaient les images plus hallucinées dont j’avais besoin.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans le choix des images ?
Faire le deuil de l’exhaustivité. Vu que l’on ne peut pas tout voir et que chaque film peut contenir une surprise comme l’œil que j’évoque plus haut, c’est difficile de se dire que l’on passe à côté de l’image parfaite.
Est-ce que tu penses que tu retravailleras avec les archives ?
Oui ! Il y a un projet qui se dessine avec un ami sur les lettres que son grand-oncle (encore la famille !) a envoyées d’Algérie pendant son service militaire, dans les années trente. Un film probablement beaucoup plus documentaire que Le Fantôme d’Armen.
Entretien réalisé par Lucie Jullien (Cinémathèque de Bretagne)
Découvrez ci-dessous le teaser du film Le Fantôme d’Armen :
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cinémathèque de Bretagne (26 février 2025). Entretien avec Anthony Le Brun, réalisateur du film “Le fantôme d’Armen” Memoris. Consulté le 8 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13dss

