Amorce, un lieu unique d’interrogation des collections de mémoire filmique des territoires

Cet article présente la genèse d’Amorce, la plateforme de la mémoire filmique des territoires, lancée en juin 2024 par le réseau Diazinteregio. 15 structures, cinémathèques et centres d’archives audiovisuelles membres du réseau, ont rassemblé plus de 20 000 films de leurs collections sur cette nouvelle plateforme unique qui permet de croiser et faire dialoguer entre eux ces documents inédits.
Son intérêt tant pour le grand public que pour les professionnels de l’audiovisuel est d’accéder à des recherches thématiques et géographiques en quelques clics. Pour les structures du réseau Diazinteregio il s’agit, grâce à cette nouvelle plateforme partagée, d’accroître la visibilité de leurs collections et de renforcer une politique mutualiste et solidaire initiée en 2010 autour d’une base de données commune. Si ce premier objectif est atteint, un important travail reste à mener pour valoriser ces collections si particulières.
C’est un vœu de longue date de pouvoir interroger l’ensemble des collections de mémoire filmique des membres de Diazinteregio sur une même plateforme. En effet, ce réseau créé en 2010 qui s’est étoffé chaque année pour parvenir à compter dans ses rangs 19 structures en 2024, mêle des archives audiovisuelles très variées des débuts du cinéma à aujourd’hui, tant amateurs que professionnelles, fictionnelles que documentaires, montées ou non, thématiques ou régionales… Pouvoir mener des recherches dans ce corpus hétérogène sur une plateforme unique permet de faire des liens encore impensés entre ces ressources et de faire naître de nouveaux récits du siècle passé.

Naissance du projet
L’idée émerge autour du besoin d’un nouvel outil modernisé pour les membres du réseau et utilisateurs de la base de données DIAZ. C’est tout d’abord la nécessité d’une meilleure intégration, d’amélioration de la recherche, d’ouverture du réseau mais également de sécurisation des données qui poussent l’association à développer un projet d’envergure. Après de nombreuses réflexions en commissions ainsi qu’un important travail de développement, un nouvel élan est donné en 2022. Diazinteregio fait partie des 17 lauréats de de l’appel à projets Numérisation du Patrimoine et de l’Architecture de France 2030.
Quatre axes sont explorés dans ce projet. Le premier s’adresse aux utilisateurs de la base de données DIAZ et a pour but de développer un outil métier innovant permettant un gain de temps à l’indexation et à la documentation, s’accompagnant de recherche en intelligence artificielle (IA) appliquée à la mémoire filmique des territoires. Le deuxième, Amorce, se veut un portail public unique d’interrogation des collections des membres du réseau Diazinteregio, également ouvert à d’autres collections de mémoire filmique via le protocole OAI-PMH. Un troisième axe, en cours de développement, tend à proposer un véritable service aux professionnels : commande d’images facilitée et dépôt de fichiers natifs préindexés. Enfin une véritable envie d’ouverture et de partage nous conduit à proposer notre outil et notre plateforme dans d’autres langues à visée européenne et l’internationale.
Amorce : une plateforme grand public
C’est avant tout la volonté de simplicité qui a conduit notre réflexion et les développements techniques de la plateforme Amorce. L’idée est que tout un chacun puisse découvrir les archives qui l’intéressent via une requête unique. Il est désormais aisé de rechercher sa commune de naissance, ou tout autre lieu ou thématique, filmée des années 1920 à aujourd’hui par des amateurs ou des professionnels. Les membres du réseau ont su comprendre l’intérêt de cette visibilité nouvelle, au-delà du public fidèle de leurs plateformes respectives régionales ou thématiques, et proposent un nouvel accès à leurs collections par le biais de ce portail commun qui permet de faire voyager davantage la mémoire filmique des territoires et les utilisateurs d’Amorce. Une recherche simple et quelques filtres permettent d’affiner les résultats proposés, de trouver rapidement une vidéo d’intérêt et de poursuivre la découverte via des suggestions aléatoirement selon une des thématiques indexées du premier film consulté. Le réseau propose également une éditorialisation ciblée avec deux nouvelles thématiques chaque année, éclairées par des experts du sujet, accompagnées d’articles, de productions audiovisuelles et d’une sélection des membres qui accompagnent les internautes dans leur découverte de cette matière encore trop peu explorée.

Quelques archives remarquables sur amorce.eu
Le film inédit1 connaît une grande circulation. Il suit les différents lieux de vie des réalisateurs et réalisatrices et de leurs ayants droit : on découvre ainsi dans les cinémathèques régionales des films tournés aux quatre coins du monde. La vie sous l’occupation à Granville, dans la Manche, en Normandie, conservée à la Cinémathèque de Montagne de Gap, « Escales indiennes » filmées en 1963 et conservées à CICLIC Centre – Val de Loire à Issoudun, « Pêcheurs du Midi et du Nord », un film documentaire de Louis Joseph Lebret de 1937 conservé à la Cinémathèque de Bretagne qui nous fait voyager dans les ports de la Méditerranée tels Nice et Marseille mais aussi en Écosse, aux îles de Shetland (Antarctique), à Bergen (Norvège), aux Hébrides, en Irlande, le « Carnaval de Bahia » au Brésil en 1981 conservé à Image Est à Nancy, sont autant d’arguments de l’intérêt de rassembler ces documents sur une plateforme commune. La vue cartographique proposée sur Amorce témoigne en effet de cet intérêt de valoriser des collections qui ne se réduisent pas à l’histoire d’une région, mais qui participent ensemble à narrer l’histoire d’une époque, celle du XXème siècle.



Des ressources à enrichir, une documentation à poursuivre
Géolocaliser les noms de lieux, affecter des lieux et thèmes à chaque ressource, ouvrir la plateforme à d’autres collections, proposer un accès professionnel avec des résumés précis et time-codés, tels sont désormais les grands chantiers à mener pour le réseau . Alors que la recherche en IA commence à faire ses preuves et séduit de plus en plus, que cette dernière impressionne déjà le grand public et qu’elle rendra assurément davantage visible la mémoire filmique des territoires en proposant de nouvelles manières d’interroger les corpus et de découvrir des résultats selon de nouvelles associations, le travail minutieux des documentalistes et archivistes des cinémathèques et archives est à poursuivre. Si un bon logiciel d’océrisation (reconnaissance optique des caractères), associé à une grande capacité de calcul permettent de traiter en grand nombre les textes qui essaiment au sein des millions d’images que compose la mémoire filmique des territoires, à l’heure actuelle l’œil humain est plus à même de reconnaître une lettre légèrement inclinée ou de déduire qu’un film a été tourné un 1er mai 1973 alors qu’à l’image seuls les caractères « er mai 197 » sont nettement visibles. Si des IA peuvent dès à présent reconnaître qu’une image est composée d’une route, d’arbres, de véhicules chargés, de bagages, de charrettes, d’hommes, de femmes, d’enfants, elle ne pourra pas nécessairement interpréter que nous sommes en 1940 durant l’Exode.
Une révolution technologique quant à l’accès aux données, à leur analyse, à leur extraction, à leur visualisation est en cours. Elleva singulièrement modifier et enrichir nos façons de travailler sur la mémoire filmique. Néanmoins le travail rigoureux de remise en état mécanique et de préparation des supports pellicule, vidéo, bande son, de numérisation, d’indexation, de catalogage, de documentation, de gestion des droits reste à mener sur de nombreux éléments inédits conservés en institution ou encore à collecter. Amorce est un premier aboutissement du travail conjoint mené depuis près de 15 ans (parfois plus de 40 ans) par les cinémathèques et archives régionales et locales du réseau Diazinteregio. Son objectif est de continuer à s’enrichir et si l’exhaustivité n’est ni quantifiable ni atteignable en la matière, travailler sur des thématiques communes comme le sport, la Seconde Guerre mondiale, l’histoire des femmes, la décolonisation, l’environnement, les transports… devrait nous permettre de conserver la belle dynamique du lancement de ce projet.
Découvrez ci-dessous la bande-annonce de la nouvelle thématique consacrée aux femmes dans le cinéma amateur, institutionnel et militant :
Ressources
– Ange Stéphanie, « Diazinteregio, le réseau mutualiste de la mémoire filmique des territoires », Journal of film preservation, avril 2024, pp. 34-43.
Séminaire en ligne Les Nouveaux Paradigmes de l’Archive : Valoriser en réseau le patrimoine local (31 mai 2022)
– Histoire du réseau Diazinteregio, de sa base de données et de ses valeurs de mutualisation
– Les usages de la base de données Diazinteregio, et élaboration d’un thesaurus commun
– L’accompagnement de la construction sur mesure de la base de données avec le collectif
- Charte de Spa, 1989, http://inedits-europe.org/Qui-sommes-nous, consulté le 5 décembre 2022. Le réseau INEDITS – Film amateur / Mémoire d’Europe, créé en 1991, qui rassemble un nombre important de cinémathèques et archives européennes conservant cette mémoire, retenait dès ses débuts en 1989 au sein de la Charte de Spa, cette idée : « par « inédits, nous entendons les images en mouvement évoquant tout aspect de la vie de nos sociétés, hier et aujourd’hui, réalisées sur tous les formats et supports et qui, à l’origine, n’étaient pas destinées à une diffusion dans les circuits professionnels de l’audiovisuel. » [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Stéphanie Ange (10 janvier 2025). Amorce, un lieu unique d’interrogation des collections de mémoire filmique des territoires. Memoris. Consulté le 10 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13208